Mardi 8 décembre
Le Président de la République précise sa position sur
« l’identité nationale » dans Le Monde d’aujourd’hui (daté du 9 décembre). Je relève d’abord
la partie positive, son appel au respect mutuel des religions ; sur l’obligation de « permettre de
prier dans des lieux de culte décents » ; sur la nécessité qu’un
« islam de France » fasse siennes « l’égalité de l’homme et de
la femme, la laïcité, la séparation du temporel et du spirituel ». Cet
article, cependant, suscite quelques doutes.
Ce qui déconcerte, c’est que toute la première partie
du propos présidentiel porte sur la votation helvétique sur les minarets. Il
fustige ceux qui ont critiqué ce verdict des urnes : « Réactions
excessives » et « méfiance viscérale pour tout ce qui vient du peuple.
La référence au peuple, c’est déjà, pour certains, le commencement du
populisme. Mais c’est en devenant sourd aux cris du peuple, indifférent à ses
difficultés, à ses sentiments, à ses aspirations, que l’on nourrit le
populisme. Ce mépris du peuple, car c’est une forme de mépris, finit toujours
mal. »
Un pareil discours aurait pu sortir, il est déjà
sorti,de la bouche du général Boulanger en 1888-1889. Les adversaires du
populisme, n’en déplaise à Nicolas Sarkozy, n’ont aucun mépris du peuple ;
ils méprisent les démagogues qui jouent avec les « sentiments », les
émotions, la peur répandue dans les couches populaires, qu’ils attisent de leur
mieux en dénonçant les boucs émissaires. Qui a vu ces affiches du parti
populiste helvétique représentant des minarets sous la forme d’une batterie de
missiles plantés sur le drapeau suisse a compris la manière de la xénophobie
agissante. Ce peuple, cette majorité électorale aurait-elle forcément raison,
toujours raison ? Le « peuple » n’a-t-il pas acclamé Mussolini,
chéri Hitler, pleuré à la mort de Staline ? Ce n’est avoir du mépris ni
pour le peuple ni pour le suffrage universel que de s’opposer aux prophètes de
malheur, aux tribuns racistes, aux ennemis de la démocratie.
Le candidat Nicolas Sarkozy a trouvé son cheval de
bataille lors de la campagne présidentielle de 2007. Dans l’analyse de sa
victoire, Alexis Brézet écrivait : « Volontairement choisie parce
qu’elle se situe au confluent des angoisses françaises — immigration,
insécurité, mondialisation, Europe — , la thématique de l’identité nationale,
par son écho dans les classes populaires, aura contribué de façon déterminante
à la construction de la victoire du 22 avril et du 6 mai. » (L’État de
l’opinion 2008, Seuil). En
télescopant « immigration » et « identité nationale », en
créant un ministère assemblant ces deux mots, Nicolas Sarkozy a su détourner
nombre d’électeurs du Front national et gagner en popularité au bon moment de
la campagne. À populisme, populisme et demi, et Jean-Marie Le Pen en a été fort
dépité. Voilà ce que les études d’opinion sur la campagne de 2007 nous ont
appris.
Focaliser aujourd’hui le débat de l’identité nationale
sur le problème religieux évite de se colleter avec les causes profondes des
tendances au communautarisme que notre Président rejette à bon droit. Par ce
discours sur les minarets, il détourne notre attention des discriminations qui
marginalisent, excluent et désespèrent souvent ceux qui appartiennent aux
« minorités visibles » : faire en sorte que celles-ci soient
traitées sur un pied d’égalité, en matière d’emploi, de logement, d’éducation
avec la majorité des citoyens, c’est évidemment une tâche autrement difficile
que de prêcher la bonne entente entre les religions. Celle-ci a une garantie,
la laïcité, qui est notre charte de coexistence pacifique entre les croyants
des diverses religions, entre les croyants et les incroyants. Mais notre
Constitution n’affirme pas seulement que la France est une République
laïque : elle est aussi, selon son article premier, une République
« démocratique et sociale» : « Elle assure l’égalité devant la
loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de
religion. »
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