Mardi 15 décembre
Voyez le paradoxe : notre gouvernement nous invite à débattre sur notre identité nationale et, simultanément, il supprime l’enseignement de l’histoire obligatoire dans les Terminales S. L’incohérence est manifeste. La connaissance du passé constituée en discipline a en effet largement contribué à forger un sentiment national. Contradiction probable entre des intentions idéologiques et une réforme technocratique.
L’émotion provoquée par la réforme de M. Chatel a dépassé le cercle du « lobby disciplinaire » — comme dit si élégamment notre ministre. Elle est révélatrice de la place occupée par l’enseignement de l’histoire dans nos habitudes. On a remarqué, à ce sujet, que chaque intervenant dans la controverse ne parlait que de l’histoire, oubliant la géographie qui lui est liée dans notre enseignement. C’est une injustice, mais le statut de ces deux disciplines n’est apparemment pas le même dans l’esprit public. Qu’est-ce qui fait donc le prestige de l’histoire ?
Les réponses affluent : les grands noms du XIXe siècle (de Michelet à Lavisse) qui a créé la discipline ; la pénétration du roman par l’histoire (Balzac, Stendhal, Hugo, Martin du Gard, Aragon, je ne cite que les premiers noms qui me viennent) ; la qualité dramatique et donc attrayante de l’histoire française (révolutions, coups d’État, changements de régimes…) ; l’appel à l’histoire des hommes politiques (par exemple de Gaulle dans ses discours de guerre : « Il y a 153 ans, disait-il dans son allocution du 14 juillet 1942, la fureur triomphante du peuple français faisait du 14 juillet la Fête de la Nation. Et, comme la voie était ainsi frayée à la liberté, cette fête devenait, du même coup, celle de tous les hommes libres. ») ; la valorisation du pays et de ses habitants par le souvenir — sélectif — des heures de gloire…
L'écrivain allemand Friedrich Sieburg écrivait en 1929 dans Dieu est-il français ? : « L’histoire, cette grande séductrice, prouve chaque jour au peuple français qu’il détient à juste titre le monopole de la raison et de la civilisation. » Un rêve collectif, une légende, une illusion peut-être, une présomption sans doute, mais c’est ainsi : à tort ou à raison, les Français étaient fiers de leur histoire, et c’est par cette histoire qu’ils se sentaient des Français, quand bien même leurs parents étaient nés au-delà des frontières.
On doit se demander cependant si le goût français de l’histoire n’a pas été formé aussi par l’historicisme, c’est-à-dire l’idéologie du sens de l’Histoire. La théologie chrétienne y a contribué, en attendant Hegel et Marx. Les fondateurs des républiques successives étaient pleins de l’idée de Progrès. Des millions de Français ont été portés à croire qu’ils coopéraient à la genèse d’un nouveau monde, et le puissant Parti communiste des années suivant la Libération ne fut pas le dernier à inculquer le respect de l’histoire à ses militants.
Les critiques de l’histoire n’ont pourtant pas manqué. Paul Valéry ironisait sur « cette petite science conjecturale » : « Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout » ; Montherlant écrivait dans le même sens : « L’histoire est une sibylle à laquelle on fait dire tout ce qu’on veut. ». Et Francis Ponge désabusé : « L’histoire, ce petit cloaque où l’esprit de l’homme aime patauger. »
Il n’empêche, nous cherchons dans l’histoire à décrypter notre généalogie collective, et, sans elle, nous sommes comme des enfants abandonnés qui, devenus adultes, cherchent éperdument à savoir d’où ils viennent.
Plusieurs idées très justes se juxtaposent dans ce billet d'humeur:la malheureuse suppression de l'histoire en terminale scientifique,la nécéssaire connaissance du passé pour forger le sentiment national et décrypter une généalogie collective ,le prestige voire le culte dont joui l'histoire en france malgré quelques critiques...mais une autre idée,amorcée,retient mon attention: l'absence de la géographie dans le débat actuel ."Pourtant l'histoire ne se déroule pas seulement dans le temps ;elle se situe ou elle s'étale aussi dans l'espace ...le couronnement de l'an 800 ,sans Rome, perd une de ses carctéristiques essentielles...ce qui importe c'est de connaître le degré réel des influences géographiques et des réactions humaines dans le déroulement de l'histoire "écrivait Charles Higounet.Si la compénétration des deux disciplines est ainsi évidente ,pourquoi donc la géohistoire qu'appelait de ses voeux Fernand braudel n'est elle pas enseignée?et surtout pourquoi ne pas insister sur l'unité d'une culture historico-géographique que l'enseignement en France a su si bien préserver (non sans quelques tiraillements) jusqu'à nos jours et qui , à la veille de réformes drastiques apparaît justement comme une spécificité nationale,un sentiment peut être ?
Rédigé par : martine allaire | mardi 15 décembre 2009 à 18:02
Entièrement d'accord, et les géographes ont quelque raison de se plaindre. Dans ma note, je faisais une constatation — et tentais de chercher brièvement les raisons de cette prépondérance de l'histoire dans l'opinion.
Rédigé par : M.Winock | mercredi 16 décembre 2009 à 18:36