Vendredi 12 février
On en rit encore dans les librairies et les salles de rédaction. Dans sa Guerre en philosophie, Bernard-Henri Lévy, maître à penser des gazettes, a cité doctement Jean-Baptiste Botul, auteur de La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant, et ses « conférences aux néokantiens du Paraguay » prononcées après la Seconde Guerre mondiale. Je ne sais s’il y avait beaucoup de néokantiens au Paraguay après la guerre, mais le sûr est que ledit Botul n’a jamais existé que dans la tête facétieuse de Frédéric Pagès, collaborateur du Canard enchaîné et auteur de l’ouvrage tant prisé par notre « BHL », piégé comme un naïf.
Les supercheries littéraires, pour être un genre universel, n’en ont pas moins une histoire nationale. En voici seulement trois exemples :
. Pascal Pia, de son vrai nom Pierre Durand, qui fut un critique littéraire brillant, ami de Malraux et de Camus, a publié en 1925 — il avait alors 22 ans — une plaquette intitulée À une courtisane, contenant de prétendus poèmes inédits de Baudelaire entièrement de sa main et qui furent réédités en 1945. Ce talentueux connaisseur des Fleurs du mal avait entre-temps rédigé un faux journal de Baudelaire, qui parut dans l’édition de la Pléiade de 1941 établie par le spécialiste Y.-G. Le Dantec, parfaitement mystifié.
. Plus connu, sans doute, le coup magnifique de Romain Gary qui, après avoir eu le prix Goncourt pour l’un de ses romans, l’obtint une seconde fois — ce qui est interdit dans le règlement de la célèbre Académie — pour La Vie devant soi , qu’il avait signée du pseudonyme d’Émile Ajar (1975).
. Pour le centième numéro de la fameuse collection « Les écrivains de toujours », Paul Flamand, directeur du Seuil, publia un Marc Ronceraille, agrémenté, comme le voulait la série, de morceaux choisis et d’illustrations photographiques. Ronceraille était un prétendu poète mort en 1973 dans un accident de montagne ; il laissait derrière lui une œuvre poétique délicate, dont Runes était le recueil le plus connu, et aussi un roman, L’Architaupe, qui avait obtenu quatre voix au Goncourt. Les libraires furent un peu étonnés mais sans oser avouer leur ignorance d’un écrivain aussi remarquable. En apprenant le canular, quelques-uns exprimèrent leur indignation.
J’ai appris, dans cette affaire BHL, que Botul avait aussi écrit un Landru, précurseur du féminisme, mais notre philosophe n’a pas cru devoir le citer.
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