Mercredi 20 janvier
Ce qui étonne G., une amie italienne qui travaille en France depuis de longues années, c’est le pessimisme des Français, le manque de confiance dans leur pays, et souvent l’auto-dénigrement qu’ils pratiquent. Piqué par cette remarque, je me suis enfoncé dans la série de la SOFRES, « l’état de l’opinion ». Le premier volume date de 1984 et porte sur des sondages de 1982 et 1983. C’est l’époque du désenchantement après la victoire de la gauche en 1981 : en décembre 1982, 48 % des Français s’attendent à voir leur niveau de vie baisser au cours de l’année à venir – que 50 % prévoient « une année plutôt mauvaise » (15 %, « une année plutôt bonne »).
La rubrique pessimisme/optimisme est ouverte. La confiance des Français dans l’avenir est évidemment variable selon la conjoncture, mais la tendance au pessimisme domine lourdement d’année en année (une exception : 1989, sous le gouvernement Rocard). L’idée à peu près constante – contre toute réalité statistique – est que « les gens comme nous vivent moins bien qu’avant » : 50 % en 1981, 53 % en 1985, 48 % en 1987, 60 % en 1991, etc. Le pourcentage des réponses inverses (on vit mieux) est extrêmement faible (entre 5 et 20 %), les autres réponses jugeant qu’il n’y a pas de changement.
Les courbes optimisme/pessimisme ont été tracées par la SOFRES pour la période 1995-2005. La courbe noire (« Les choses ont tendance à aller plus mal ») est régulièrement au-dessus de la courbe rouge (« Les choses vont en s’améliorant »). Le plus grand écart est atteint en décembre 2005 : 82 % de pessimistes contre 5 % d’optimistes. La seule exception date d’octobre 2000, où les deux courbes se rejoignent à 40 %.
« Pessimisme » est vite dit, pourra-t-on objecter. Ne serait-ce pas plutôt lucidité et inquiétude fondée sur le cours des choses ? Quoi qu’il en soit l’opinion française se singularise dans les sondages comparatifs d’Eurobarmétrie. En 2006, donc avant la crise financière, les opinions européennes sont interrogées sur les chances et les risques de la mondialisation : les Français sont les plus pessimistes (les plus optimistes étant les Danois). Sondés sur « la qualité de vie des générations futures », les Français se montrent encore une fois les plus pessimistes. On trouvera le détail de ces enquêtes dans L’État de l’opinion 2007, présentés par O. Duhamel et B. Teinturier au Seuil. On lit dans la dernière édition de la série (2009) ce commentaire : « Un pessimisme collectif massif : entre 70 et 85 % des Français pensent depuis deux décennies que les choses vont en se détériorant. »
Voilà un beau sujet de réflexion. Dans Parlez-moi de la France, publié en 1997, j’avais intitulé un chapitre sur le sujet : « Notre maladie endémique ». Je citais Theodore Zeldin qui, sur le ton « Messieurs les Français, cessez de vous lamenter », écrivait : « Les Français, lorsqu’ils se regardent dans le miroir, le font à travers des lunettes sombres. Ils sont moroses parce qu’ils hésitent à les retirer. »
En même temps la France est le pays d’Europe qui fait le plus d’enfants, ce qui n’est pas une preuve de pessimisme profond. Alors quoi ?
La SOFRES décompose-t-elle les réponses par classes d'âge?Les vieux ont toutes les raisons d'être pessimistes et n'ont plus la capacité de procréer : or,leur part relative dans la population augmente...Je plaisante à peine.
Rédigé par : Blanc | vendredi 22 janvier 2010 à 07:24