Vendredi 11 décembre
En voulant confessionnaliser la société française,
Nicolas Sarkozy, disais-je hier, est en train de nous préparer le retour de
Maurice Allard, le grand pourfendeur du christianisme à la Chambre des députés
en 1905. À peine énoncée, la crainte se confirme : j’ai vu le fantôme
d’Allard agiter ses chaînes dans la prose de M. Dominique Lefebvre, maire
socialiste de Cergy.
Celui-ci, dans une diatribe du Monde (11 déc. 2009), s’élève à juste titre contre les
amalgames de notre Président : « identité nationale = racines
chrétiennes ; immigration = islam ; islam = risque de
‘’dénaturation’’ pour l’identité française. » Fort bien.
Toutefois, on lit un peu plus loin : « La
vérité, c’est que notre identité nationale, le génie français si l’on veut, a
bien peu à voir avec l’affirmation du rôle des religions et tout à voir avec
l’esprit des Lumières et de la Révolution. »
Voilà un dérapage que notre édile aurait pu éviter, un
autre de ces amalgames qu’il dénonce : « France = Révolution ».
N’étant moi-même d’aucune confession, j’en parle à mon aise : que M.
Lefebvre le veuille ou non, l’identité française a quelque chose « à
voir » avec l’héritage du christianisme. Il a beau, son clystère à la
main, vouloir en purger la société, il n’y arrivera pas de sitôt.
Nous avons hérité d’une double culture, celle de la
Révolution, celle de la République — qui sut être anticléricale quand il le
fallait—, mais aussi d’un millénaire de catholicisme antérieur à 1789 et qui ne
s’est pas éteint par décret. M. le maire de Cergy voudrait-il raser les
milliers d’églises du territoire, briser les tympans des cathédrales comme les
talibans l’ont fait des statues de Boudha ? Mettre Pascal à la trappe,
Fénelon au rebut, Chateaubriand à la lanterne, Bernanos aux orties, Claudel à
la poubelle, Mauriac aux vestiaires — ce n’est qu’un échantillon. Il pourrait
aussi réduire le poème d’Aragon, « La Rose et le Réséda », à la seule
rose qui lui est chère, remettre au goût du jour le calendrier républicain,
interdire la fête de Noël et autres congés d’origine chrétienne… Bref, si
j’adhère à « l’esprit des Lumières et de la Révolution », je ne puis
faire disparaître de notre histoire et de notre société « le rôle des
religions ».
Certes, le recul de celui-ci est manifeste :
moins de mariages et de mariages religieux, moins de prêtres, moins de pratique
régulière, tout cela est vrai.
Est-ce à dire pour autant que notre « identité » n’a rien « à
voir » avec le « rôle des religions » ? Pour commencer, un
élu ne devrait pas mépriser une partie de l’électorat, fût-il minoritaire.
Minoritaire, du reste, quant à la pratique régulière du culte (d’après l’IFOP,
un tiers des musulmans et 16% des catholiques se disent « croyants et pratiquants »),
mais pas vraiment minoritaires quant aux croyances. L’enquête Arval de 2008
indique que 53% de la population se disent « croyants ».
Une étude de la sociologue Danièle Hervieu-Léger nous
avertit que « l’état des croyances » ne peut se réduire aux pratiques
cultuelles : malgré la perte d’influence de la religion catholique,
« les mentalités demeurent modelées par cette matrice culturelle
constituée, depuis des siècles, par le catholicisme[1]. »
Il faut en prendre son parti si l’on veut comprendre
quelque chose à ce pays resté par bien des côtés énigmatique. Oui, M. le maire,
évitons les amalgames, le réductionnisme et les simplismes, et prenons en
considération la pluralité des héritages et des importations qui ont fait et
refont la France.
[1] . Cité par Louis Maurin, Déchiffrer la société
française, La Découverte, 2009, p.
324.
Tout à fait d'accord avec vous, et c'est sans parler de l'influence du christianisme sur la construction de l'Etat et la vie politique française. Je ne veux pas parler des débats autour de la place de l'Eglise dans la société civile mais de l'influence des doctrines religieuses sur la construction étatique et du lien particulier établi entre le roi de France et la religion chrétienne qui a entraîné en France une conception transcendante du pouvoir politique (place particulière du roi de France face aux autres souverains européens, du fait de la spécificité du sacre, et face au pape).
De ce point de vue, la Révolution ne me semble pas une rupture mais un accomplissement : le concept de Nation à la française exprime parfaitement cela. J'en vois encore aujourd'hui les conséquences dans la vie politique française : désir de l'homme providentiel (tiens, la Providence est-elle révolutionnaire ?), sur-politisation de tout car on ne sait pas bien où trouver cet intérêt général de la Nation qui doit être transcendant, supérieur à la somme des intérêts particuliers...
Le débat sur l'"identité nationale" est bien dangereux dans les simplifications qu'il médiatise... J'espère que mon commentaire n'est pas quant à lui trop bref et reste compréhensible !
Rédigé par : Antoine M. | samedi 12 décembre 2009 à 10:59