Mercredi 6 janvier
En achevant la présentation de ses vœux à la télévision, le 31 décembre, le président de la République en a appelé à la « fraternité ». Le mot n’était pas d’usage dans sa bouche. Il a fallu attendre Ségolène Royal pour que le troisième terme de la devise républicaine se fît naguère de nouveau entendre, mais en général, à gauche comme à droite, on l’évite : de connotation trop religieuse peut-être, passablement ringard, « lamartinien », échappé de l’idéalisme romantique…
Rappelons que le mot « fraternité » avait été inscrit en 1848 dans la Constitution de la Seconde République. Le ministre de l’Instruction publique, Hippolyte Carnot, avait alors commandé au philosophe Charles Renouvier un Catéchisme républicain. Celui-ci fut pénétré par l’esprit de fraternité, lequel impliquait de nouveaux droits : « Il faut et il est indispensable qu’une République fraternelle reconnaisse et assure deux droits à tous les citoyens : le droit à travailler et à subsister par le travail ; le droit à recevoir l’instruction, sans laquelle un travailleur n’est que la moitié d’un homme. »
En pleine guerre de 1870, Léon Gambetta commanda à un disciple de Renouvier, Jules Barni, un philosophe kantien, un Manuel républicain qui parut en 1872. Celui-ci consacrait un chapitre important de son ouvrage à la fraternité. Évidemment, celle-ci ne se décrète pas, disait-il ; elle n’est pas « de droit strict », mais « le respect du droit strict ne suffit pas dans la société » : « Pour qu’une société soit vraiment humaine, disait-il, il faut que [les citoyens] se regardent comme faisant partie, à titre d’hommes, d’une seule et même famille, et qu’ils s’aiment comme des frères ».
Cet esprit devait dépasser les frontières : « En s’étendant à tous les hommes, à quelque race ou à quelque nationalité qu’ils appartiennent, [ la fraternité ] doit concourir à éteindre les haines sauvages de peuple à peuple, et à faire disparaître, par l’union des diverses branches de la famille humaine, cette atroce barbarie qu’on appelle la guerre. »
Ce pauvre Barni n’avait pas vu le pire, et c’est peu de dire que le XXe siècle a méprisé la fraternité. Aura-t-elle sa revanche au XXIe ?
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