Vendredi 26 février
Ce qui est arrivé au champion de golf américain Tiger Woods est un classique dans le monde anglo-saxon. Son escapade extra-conjugale ayant été découverte, il s’est vu contraint de faire son acte de contrition public sur une douzaine de chaînes de télévision, tandis que l’événement faisait la une de la presse — petite et grande. Franck Nouchi qui relate ce scandale made in America dans Le Monde, écrit à juste titre : « Un tel déballage de la vie privée est, pour l’heure, impensable en France. » Oui, mais pourquoi ?
Il me semble que deux facteurs historiques ont exercé leur influence. D’abord, la tradition catholique opposée à la tradition protestante des pays anglo-saxons. Le puritanisme originel des États-Unis a son roman de référence : La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, parue en 1850. La lettre en question est la lettre A cousue sur la poitrine des femmes adultères. L’obsession de la faute et de la culpabilité est au cœur de cette religion, là où le catholicisme et son sacrement de la pénitence (la confession) absolvent le pécheur et la pécheresse. On sait comment le janséniste Pascal a foudroyé la casuistique des révérends pères jésuites dans ses Provinciales : des laxistes à ses yeux. Évoquant cette querelle, Voltaire fut du côté des jésuites. Deux cultures se sont formées à partir d’une même foi chrétienne, qui ont opposé catholiques et protestants — notamment sur la conduite sexuelle. Le pardon de Dieu exalté par les uns au pays des rois « Verts-Galants » ; la responsabilité personnelle, par les autres, au pays fondé par les Pilgrim Fathers.
Un facteur complémentaire a certainement joué, c’est la sécularisation précoce de la société française à partir de la Révolution, une progressive « sortie de la religion », selon l’expression de Marcel Gauchet, qui a émancipé les citoyens de l’autorité spirituelle. Les notions de devoir et de fidélité sont certes restées inscrites dans la morale laïque, mais une morale sans véritable catéchisme et sans Enfer. De sorte que le régime républicain a séparé la vie privée de la vie publique comme il a séparé les Églises de l’État. La démocratie républicaine n’exige pas de ses dirigeants le caractère irréprochable de leur vie conjugale, mais la compétence.
Ajoutons encore un trait de la culture française, la gauloiserie, la gaillardise, la gaudriole. Quand l’opinion apprend telle ou telle frasque d’un ministre ou d’un chef d’État, loin de s’indigner elle s’en amuse. La tendance remonte aux contes et fabliaux du Moyen Age, au XVIe siècle de Rabelais, aux Contes de La Fontaine, etc. Théophile Gautier écrivait à propos du chansonnier Béranger, qu’il incarnait l’esprit français « ou gaulois », « c’est-à-dire un esprit tempéré, enjoué, malin, d’une sagesse facile, d’une bonhomie socratique, entre Montaigne et Rabelais, qui rit plus volontiers qu’il ne pleure […].» Un Dominique Strauss-Kahn, piégé par la presse anglo-saxonne pour une aventure extra-conjugale, caracole en tête des sondages de popularité dans l’Hexagone. Aux États-Unis, Bill Clinton a dû demander pardon pour une inconduite, qui faillit interrompre son mandat présidentiel.
Nous vivons bien dans deux univers différents. Cependant, Franck Nouchi disait justement : impensable en France pour l’heure. Car les médias et la médiatisation de la politique, l’américanisation, la presse people sont en train de saper la frontière vie privée/vie publique. L’obsession contemporaine de la transparence les y aide, et des brèches s’ouvrent peu à peu dans le mur de la vie privée.
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