Mercredi 3 mars
On a souvent décrit l’État républicain vivant dans l’héritage de la monarchie. En relisant les Pleins pouvoirs de Jean Giraudoux, je tombe sur ce passage :
« Dès ses débuts, notre république n’a pas conçu son installation et son existence selon les méthodes de beauté, d’ampleur, de facilité qui ont toujours été celles de nos autres régimes. Elle n’a pas apporté avec elle ce que les autres démocraties, américaine ou hollandaise, danoise ou allemande, se sont plu à imaginer et à perfectionner dès leur premier jour : ses meubles. Elle se contente de vivre en meublé, elle n’a guère prévu, pour elle, d’autre installation que des utilisations ou des adaptations du domaine impérial ou royal. Elle s’est installée dans la nation non en maîtresse et en architecte souveraines, mais petitement, avec quelque honte, comme une acheteuse de biens nationaux. Ces mœurs de petit bourgeois, n’ont guère été réprouvées que par de rares municipalités et quelques administrations. Notre démocratie grille d’avoir son style, c’est-à-dire sa plus forte voix ; notre peuple est un peuple de maçons et d’architectes qui n’attend qu’un signal : mais bien rares, pourtant, sont les ministères, les hôpitaux, les bureaux qui ne se disputent pas férocement, comme des bernard-l’ermite, le moindre hôtel ou la moindre coquille libre de l’ancien régime. Chambre des députés, Sénat, écoles d’agriculture, mairies, maisons de fous, sont installés presque toujours dans ces musées et ces repaires du passé que sont les châteaux, les folies ou les évêchés désaffectés. Le seul monument parisien voté d’enthousiasme par notre démocratie a été le Sacré-Cœur de Montmartre. »
Ce texte a quelque peu vieilli, il date de 1939. Il n’est pas pour autant périmé. Le seul ministère de quelque importance qui échappe à cette description a été le ministère de l’Économie et des Finances, passant du Louvre à Bercy. Les monuments, eux, sont plus nombreux : Giraudoux oubliait la Tour Eiffel, devenue pour l’étranger le symbole de la France, et Paris s’est transformé depuis que l’écrivain est mort, chaque président de la République depuis Georges Pompidou ayant eu à cœur de marquer son nom dans la pierre, depuis Beaubourg jusqu’au Musée des arts premiers. Il n’en reste pas moins que le sommet de l’appareil d’État siège dans les fauteuils et dans les hôtels de la monarchie et de l’empire. On pourra ainsi opposer la continuité des résidences à la succession des régimes, et se dire que la France est bien plus stable qu’il n’y paraît. Ou au contraire, comme Giraudoux, se plaindre que la démocratie en France n’ait pas trouvé son style.
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