Dimanche 14 février
Le « connais-toi toi-même » de Socrate est d’un bon conseil mais un peu insuffisant. Si l’on ne compte que sur soi pour se connaître on risque de se faire une idée plus ou moins flatteuse de soi à moins d’être dans un état dépressif chronique, ce qui ne rend pas plus lucide. C’est du regard des autres que nous avons besoin : il en va de la psychologie des peuples comme des individus. Le problème est que ce regard d’autrui n’est pas lui-même indemne de préjugés. Ainsi, les stéréotypes nationaux (ou raciaux) ne cessent d’entretenir d’un pays à l’autre des images approximatives, déformées, caricaturales et néanmoins reproduites de génération en génération. L’Allemand est travailleur, discipliné et lourdaud ; l’Anglais est fair play, a de l’humour mais est dépourvu de sens artistique ; l’Américain ne sait parler que d’argent ; l’Italien est élégant mais truqueur, etc.
Dans un ouvrage qui vient de paraître, Ces impossibles Français (Denoël), amusant et souvent pénétrant, Louis-Bertrand Robitaille, correspondant de La Presse de Montréal, s’amuse après tant d’autres à faire la part du vrai et du convenu dans les représentations des Français. Dans son introduction, il résume les stéréotypes qui courent sur eux : la légèreté, la frivolité, l’arrogance, l’ignorance du civisme, le donjuanisme, l’hédonisme...
Qui a forgé ces caractères nationaux ? Sans doute les voyageurs qui généralisent dans leurs récits quelques cas particuliers ; les littérateurs de tous niveaux qui font apparaître des personnages, souvent secondaires, modelés sur les clichés ; des concurrents commerciaux ; des adversaires politiques ; des journalistes, reporters, commentateurs sportifs, etc. Toujours est-il qu’une fois le stéréotype créé, il devient impossible de l’ébranler. Les nations deviennent des essences, que l’on aime ou qu’on déteste, invariables dans leur être. Mais le préjugé caricatural n’est pas innocent : il est aussi une façon de se définir soi-même contre l’autre, pour mieux valoriser ses propres qualités. Il peut être aussi l’expression d’un complexe d’infériorité : l’admiration des Français pour l’Allemand-travailleur révèle un dépit de commerce extérieur ou une lassitude face aux grèves à répétition dans l’Hexagone.
Au-delà des préjugés et des stéréotypes, il reste que le regard des étrangers est indispensable à tous les peuples qui veulent échapper à l’auto-intoxication. Tocqueville a publié les deux tomes de sa Démocratie en Amérique entre 1835 et 1840 ; ils restent encore une analyse lumineuse pour les lecteurs des États-Unis. L’un des défauts majeurs de ce débat raté sur l’identité nationale a été de ne pas s’ouvrir largement aux observations des étrangers qui connaissent bien la France, qui y séjournent ou y ont séjourné longtemps, et qui souvent parviennent à nous surprendre sur le sujet que nous croyons le mieux connaître. « Peut-être, écrit l’écrivain allemand Hans Georg Gadamer, dans Langage et Vérité, ne parvenons-nous jamais autant à la connaissance de notre propre être historique, que lorsque nous caresse le souffle de mondes historiques absolument étrangers. »
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