Mercredi 24 février
J’ai déjà évoqué le pessimisme quasi organique des Français qui, dans les sondages, se révèlent toujours les derniers à croire en l’avenir. Par hasard, je tombe sur ce propos du général de Gaulle, tenu devant Alain Peyrefitte en septembre 1966 (C’était de Gaulle, t. 3) : « Les Français sont un peuple fort, mais ils ne le savent pas. Ils peuvent surmonter leurs difficultés, relever les défis, faire des bonds en avant. Mais ils n’y croient pas, tant qu’on ne les en a pas convaincus. Ce sont des déprimés permanents. C’est le rôle du Président de la République de les sortir de là, de leur faire sentir leurs capacités, de leur donner confiance en eux-mêmes, pour les amener à organiser leur existence de manière qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes. »
Des « déprimés permanents »… En tête des sondages de l’optimisme viennent le plus souvent les Danois. Cette différence ne serait-elle pas due au poids inégal du passé d’un pays à l’autre ? Le Danemark, modeste pays de 6 millions d’habitants, n’a jamais prétendu être au premier rang des puissances européennes et ses habitants s’accommodent du présent. Mais cette prétention fut le cas de la France de Louis XIV, de la France de Napoléon. Dans une certaine mesure, même s’il s’agissait d’une illusion, la France de Clemenceau en 1918 pouvait avoir encore le sentiment de tenir la tête du continent. L’hémorragie démographique consécutive à la Grande Guerre et la crise économique des années trente ont atténué la confiance, mais le coup décisif fut porté par la défaite de 1940, provoquant une sorte de cataplexie du pays. De Gaulle a bien essayé — et à deux reprises — de redonner vie à une « grandeur » française abattue, mais ce ne fut qu’un grand mythe que les successeurs du Général n’ont pas réussi à sauvegarder. Il me semble donc qu’il existe un subconscient français de la grandeur perdue, c’est-à-dire du déclin. La culture de la décadence devient une idéologie infuse dans un pays où les monuments, les noms de rue, les statues innombrables, les musées et l’enseignement même de l’histoire imposent la vision d’un contraste entre l’hier glorieux et le médiocre aujourd’hui.
Les causes de la dépression qu’évoque de Gaulle sont évidemment multiples. Mais, si elles varient selon les conjonctures, j’avancerai l’hypothèse qu’il existe un substrat historique de la dépression collective : on n’est plus ce qu’on a été.
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