Lundi 11 janvier
Notre collègue Justin Vaïsse, spécialiste des États-Unis, rend compte dans le numéro de la revue Esprit de janvier d’un ouvrage américain à grand succès, encensé aussi bien par le Washington Post que par le New York Times, les Reflections on the Revolution in Europe de Christopher Caldwell. Cet ouvrage est symptomatique d’un courant d’idées dont il n’est que le représentant le plus éclatant, et que Walter Laqueur a résumé par le titre de son propre ouvrage paru en 2007 : The Last Days of Europe : Epitaph for an Old Continent. Et ces « derniers jours » qui lui sont comptés sont dus à la submersion du « vieux continent » par l’islam.
Le tableau que trace Caldwell de l’Europe « islamisée » est un mélange de faits vrais, d’inexactitudes, de demi-vérités, d’omissions flagrantes et d’interprétations fantasmées. Prenons un seul exemple : selon notre auteur, les émeutes en France de novembre 2005 sont le fait de « sympathisants avec le djihad ». Sur ces événements, le rapport approfondi du Crisis Group, paru dans Esprit d’octobre 2006, était formel : « L’embrasement des banlieues d’octobre et novembre 2005 s’est fait sans acteurs religieux et a confirmé que les islamistes ne tiennent pas ces quartiers… » Tous les problèmes de société, à lire Caldwell, se ramènent au choc des civilisations entre des autochtones et des immigrants dont la démographie prépare la victoire définitive du « camp de l’islam ». L’Europe cèdera alors la place à l’ « Eurabie ».
Les processus d’intégration (par la langue, l’école, les mariages mixtes, l’activité professionnelle, l’acculturation) qui laissent espérer la naissance d’un islam européen et qui, déjà, tracent un tableau contrasté de l’immigration, notamment en France, Caldwell ne les connaît pas et ignore même la baisse des taux de fécondité dans les populations immigrées (ainsi que dans leurs pays d’origine, du reste). Le fait que nombre d’immigrants et de leurs descendants déclarés « musulmans » ne pratiquent pas leur religion est également ignoré de Caldwell. Tout se passe, à l’en croire, selon le schéma de la guerre des civilisations, substitut de la guerre froide : bloc contre bloc, civilisation contre civilisation, islam contre chrétienté.
Un tel manichéisme ne surprendrait pas sous des plumes de l’extrême droite. Il devient redoutable quand il s’agit d’auteurs censés être des observateurs impartiaux, loués par la grande presse américaine.
Précisons que Justin Vaïsse est co-auteur avec Laurence Jonathan d’un ouvrage intitulé Intégrer l’islam : la France et ses musulmans, enjeux et réussites, préfacé par Olivier Roy (O. Jacob, 2007).
on avait diabolisé huntington,on est plus réservé 15 ans après,en France on a un peu trop tendance à confondre ce qui est et ce qu'on souhaiterais ,attitude bien louable ,mais qui amène de grandes désillusions.A les beaux rêves,les belles utopies et les lendemains qui déchantent...
Rédigé par : eric luce | vendredi 15 janvier 2010 à 19:10