L’identité nationale ! Mon intention n’est
nullement de participer à un débat organisé par les autorités publiques dont
l’objectif est pour le moins douteux. Invité par la préfecture d’un des
départements de la région parisienne à me rendre dans une rencontre officielle
j’ai refusé sans hésiter. Ce n’est pas dire que les historiens doivent rester
muets sur le sujet : depuis le XIXe siècle, ils n’arrêtent pas
d’en parler.
Le 26 novembre dernier, nous avons suivi un échange
sur la question entre Martine Aubry et Jean-François Copé, dans l’émission de
France 2 d’Arlette Chabot. D’emblée, il fut clair que le débat organisé par le
ministre Éric Besson, aurait dû s’appeler plus clairement « débat sur
l’intégration ». Tous les propos du représentant de l’UMP tournaient
autour de la question des minorités « issues de l’immigration » qui
sifflent la Marseillaise dans les
stades, préfèrent l’équipe de football de l’Algérie aux Bleus, écoutent des
rappeurs antifrançais, etc.
Ces faits ne sont pas niables, les médias nous les ont
assez montrés. Mais en quoi un débat officiel sur « l’identité
nationale » est en mesure de réparer ces gestes regrettables ? Dans
une discussion que nous avons eue sur la chaîne Public Sénat en présence
d’Henri Guaino, Alain Finkielkraut et moi-même avons récusé l’utilité de ce
débat alors qu’on attend du gouvernement une politique plutôt que des discours. Alain Finkielkraut insistait
sur l’école ; pour ma part, je demandais où en était le Plan Espoir
banlieue, ce que faisait réellement le gouvernement pour en finir avec les
discriminations et les ghettos. Avant de sévir contre les Français qui ne se
sentent pas Français, il y aurait à faire en sorte que les mots d’égalité et de
fraternité de notre devise républicaine ne restent pas de vains mots.
Aujourd’hui, l’Institut Montaigne organise un colloque
sur le thème « Qu’est-ce qu’être français ? », en partenariat
avec Le Monde. Ce colloque était
prévu de longue date, avant que le débat officiel sur « l’identité
nationale » soit lancé. Déjà, l’Institut Montaigne s’était intéressé à la
question et publié un ensemble de textes et témoignages fort intéressants, sous
le même titre : Qu’est-ce qu’être français ? (Hermann Éditeurs). Les contributions viennent en
large part d’étrangers, d’anciens colonisés, d’immigrés, — une diversité qui
témoigne bien des multiples façons de se sentir français. François Rachline,
directeur général de l’Institut Montaigne, écrit dans sa préface :
« Être français, c’est promouvoir, consciemment ou non, un équilibre
improbable entre des courants multiples. » La subjectivité, l’histoire de
chaque individu, sa sensibilité propre se taillent la part du lion. Il serait
vain de chercher une essence de la
francité.
Gaston Kelman, auteur de Je suis noir et je n’aime
pas le manioc, nous aide à
comprendre, dans sa contribution au recueil de l’Institut Montaigne, les
origines d’une sécession mentale qui scandalise : « Nos enfants
sifflaient la Marseillaise lorsque
l’équipe nationale du pays d’origine de leurs ascendants […– venait jouer
contre celle de leur pays, la France. À juste titre, nous avons crié au
scandale — ils n’aiment pas la France — avant de nous poser la question
fondamentale : pourquoi n’aiment-ils pas leur pays, la France, et leur
drapeau ? Comment peuvent-ils aimer ce pays qui n’arrête pas de les
renvoyer à leurs origines et qui fait d’eux des ‘’ franco-autre
chose’’ ? Qui en fait des Blacks,
quand ils sont métis, leur déniant la moitié de leur appartenance
colorielle ? Qui en fait, à cause de
leur faciès, des Arabes et des Maghrébins, même quand leurs parents sont
nés à Sarcelles, Roubaix ou Cajarc ? Inconsciemment, ils sentent revenus à
l’époque coloniale. Ils sentent qu’on leur attribue le même rôle qu’à leurs
ancêtres — tirailleurs sénégalais ou goumiers marocains — qui ont été conviés à
sauver la France quand elle était en danger, puis se sont vus renvoyer à leurs
origines une fois la victoire acquise. »
Le renvoi aux origines, c’est ce dont parle aussi,
dans le même recueil, Jeannette Bougrab, fille de harki et membre du Conseil
d’État : « Je reconnais qu’il est parfois difficile de se sentir
français quand d’autres procèdent, parfois de manière systématique, à une
réassignation communautaire. Pour beaucoup, on est des beurs, des Arabes, des
Maghrébins… Je n’ose citer le vocabulaire peu flatteur qu’ils utilisent
parfois : ‘’bougnouls’’, ‘’bicots’’, ‘’melons ‘’… »
Il ne s’agit pas pour moi d’excuser les siffleurs de Marseillaise mais d’essayer de comprendre un état d’esprit qui
provoque une réaction sauvage à l’exclusion.
À l’École militaire où se tenait la journée de
l’Institut Montaigne, on a refusé du monde. Il y a bien un intérêt pour la
question, mais un intérêt qui dépasse de loin les récriminations sur les
« minorités visibles ». La première partie de la rencontre :
« Français, ce que l’Histoire nous apprend de nous-même ». Annette
Wieviorka a raconté l’histoire de sa famille venue de Pologne et a insisté sur
le facteur temps : ce n’est que progressivement et par la succession des
générations qu’on devient français. J’ai tenté, pour ma part, de mettre en
lumière comment, malgré l’extrême variété des populations, les affrontements
permanents, les dissensions sociales et idéologiques, la nation française
existe encore. On nous avait donné dix minutes à chacun, on imagine les
raccourcis.
Juste un mot avant même d'avoir pris connaissance du rapport de l'Institut Montaigne sur l'identité nationale. En septembre 2008, le rapport "Comment rendre la prison enfin utile" affichait déjà un souci rare de prendre un problème difficile par le bon bout de la raison et de l'humanité, c'est à dire en réfléchissant en amont, et en essayant de prendre en compte le point de vue de "l'autre", de chercher les moyens d'une véritable amélioration , quand il est si facile de jeter de l'huile sur le feu...Si le rapport sur l'identité nationale est de la même veine, ce qui paraît probable, un peu d'espoir pourrait renaître?
Grand merci à Michel Winock pour "la perle retrouvée". Bien contrôlée, l'histoire-fiction pourrait être d'un grand intérêt pédagogique?
Rédigé par : françoise Laurent | dimanche 13 décembre 2009 à 14:23
Bonsoir M. Winock,
Ce que vous dites est juste, et la citation de G.Kelman fort intéressante. Néanmoins, j'aimerais savoir qui est ce "on" qui renvoie sans cesse les enfants d'immigrés à leurs origines. Pour ma part, je n'ai jamais "renvoyé" personne à quelque origine que ce soit, ni dans ma pratique professionnelle d'enseignant, ni dans mes relations privées. Ce sont au contraire mes élèves qui, spontanément, se définissent comme "Tunisiens", "Marocains" ou "Algériens", alors qu'ils ont tous, ou presque, la nationalité française; ce sont eux qui se "renvoient" d'eux-mêmes à une origine que, pour ma part, je ne relève jamais.
Par ailleurs, je ne crois pas que la France fasse moins pour les descendants d'immigrés d'aujourd'hui que pour ceux d'hier. Il me semble que c'est même plutôt le contraire. Quelles étaient les aides sociales dans les années 20?
Quant aux insultes, il me semble que les "macaronis", "espingouins" et autres "youpins" pourraient en raconter de belles, eux aussi; cela les a-t-il empêché de prendre leur place en France, et de se sentir français?
Rédigé par : dominique ottavi | mardi 15 décembre 2009 à 18:22
Le témoignage de Gaston Kelman n'est pas unique en son genre. "On" n'est pas vous, et je ne crois pas que ces témoins qui s'expriment dans la brochure de l'Institut Montaigne, "Qu'est-ce qu'être français?" visent les enseignants. "On" c'est Monsieur Toutemonde. Pour approfondir la question, il serait intéressant que vous demandiez à vos élèves pourquoi ils ne se déclarent pas "français" quand ils le sont.
Rédigé par : M.Winock | mercredi 16 décembre 2009 à 18:29
Bonsoir et merci de donner du sens à ce débat. Née en 1970, éduquée dans une optique européenne, grandissant en région toulousaine où "ceux de Paris" étaient regardés de haut, je me sens d'abord européenne avant que d'être française. Par ailleurs, la France s'est construite sur ses provinces : avant les blagues sur les Polaks et les Macaronis, il y avait celles sur les Bretons et les Auvergnats. Ce n'est que progressivement que tout ce monde-là est devenu français, en perdant sa langue d'origine, par exemple.
Rédigé par : Isabelle | samedi 19 décembre 2009 à 19:23
Oui, mais pour le moment il n'existe ni Europe politique ni nation européenne. D'autre part, il faut admettre pour chacun la pluralité des appartenances. Je pense seulement qu'une hiérarchie doit exister entre elles : entre l'individu et l'univers, la nation reste encore le médium le plus nécessaire. En attendant la suite de l'Histoire...
Rédigé par : m.winock | lundi 21 décembre 2009 à 12:46