"Il comprenait que par sa conduite savante de la veille, il avait gâté toutes les belles apparences du jour précédent et ne savait plus à quel saint se vouer". Cette réflexion de Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir, ne pose aucun problème de compréhension et tous les dictionnaires depuis le XVII° siècle (Oudin, 1640; Furetière, 1690; Littré, 1877; Robert, 1985) fournissent une explication de cette expression, à peu près dans les mêmes termes ("Ne sait plus ce qu'il doit faire"), mais aucun ne précise son origine. Elle renvoie à une croyance encore vivante dans un temps peu éloigné du nôtre, selon laquelle la maladie avait une origine surnaturelle, les saints intervenant à la fois dans son apparition et dans sa guérison. La vertu particulière d'un saint pouvait être fonction d'un épisode de sa vie ou de son martyre : saint Laurent, brûlé sur un gril, guérit les brûlures; sainte Odile, née aveugle, les maux d'yeux; saint Blaise, qui délivra un enfant d'une arête de poisson, les maux de gorge... Cette croyance se double souvent de la conviction que le saint qui guérit une maladie est aussi celui qui l'a provoquée et lui donne son nom : le mal Saint-Gilles désigne les terreurs nocturnes des enfants; le mal Saint-Jean, l'épilepsie; le mal Saint-Main, la gale. Cette multiplicité des saints guérisseurs pose au malade et à sa famille la question de savoir "à quel saint se vouer". Si l'on est dans le doute sur la nature du mal qui est en cause et sur le médiateur à implorer, il reste la ressource de "se faire tirer les saints", c'est-à-dire indiquer le saint correspondant à la maladie. L'un des procédés les plus courants consiste pour la "tireuse de saints" (c'est le plus souvent une femme) à déposer à la surface d'un baquet d'eau, des morceaux d'étoffe en nommant chaque fois un saint guérisseur : le morceau qui coule le plus vite désigne le saint concerné. Celui-ci ainsi identifié, il ne reste plus qu'à s'adresser à lui.