Fruit d’un colloque tenu en 2003 à l’Université Paris XII, un livre récent propose une approche particulièrement intéressante d'un sujet très actuel qui trouve ici une profondeur historique inattendue. Il s'agit de l' étude comparée des rôles et des fonctions des femmes de pouvoir en Europe, de la Renaissance aux Lumières. Dix-sept historiens, et historiennes, de plusieurs nationalités (Etats-Unis, Autriche, Suède, Pologne, Espagne, Russie), démontrent que la souveraineté fut aussi déclinée au féminin (Isabelle Poutrin, Marie-Karine Schaub (dir.), Femmes et pouvoir politique. Les princesses d’Europe, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Bréal, 2007).
Jusqu’à présent la vie des princesses et des reines appartenait surtout à l’univers du roman, de l’anecdote ou de la "petite histoire". Sans doute, des études récentes ont-elles réévalué les rôles de Catherine de Médicis (Thierry Wanegfellen) ou d’Anne d’Autriche (Simone Bertière), par exemple. Mais c’est la première fois qu’une analyse d’une telle ampleur est proposée, au croisement de l’histoire politique et de l’histoire des femmes et sur une si vaste échelle : ce livre, qui parcourt toute l’Europe, du Portugal à la Russie, de l’Angleterre à la Suède, en passant par les principautés italiennes, permet de comprendre les rôles et les fonctions des femmes de pouvoir, les règles de succession, les réseaux familiaux et diplomatiques tissés dans la « société des princes » (et des princesses), les questions plus intimes liées au mariage ou à la maternité (ce que l’on attend avant tout d’une reine est qu’elle assure la succession… masculine).
Une attention particulière est portée à l’étiquette (la querelle du tabouret !) et au corps : une remarquable étude de Jean-François Dubost montre ainsi comment Marie de Médicis, la mère de Louis XIII, est parvenue à imposer, notamment au moment de ses accouchements, des règles et des comportements inédits. De même une place importante est accordée aux images négatives des reines, images diffusées par les contemporains (Christine de Suède, Marie-Antoinette) ou par des générations d’historiens (impératrices russes)
On appréciera particulièrement les nombreux documents qui accompagnent les études (extraits d’archives ou d’études d’historiens) et la belle synthèse liminaire écrite par Isabelle Poutrin et Marie-Karine Schaub, « Regards d’historiens », qui propose un bilan historiographique de la nouvelle manière dont les chercheurs, en particulier anglo-saxons, rendent compte, depuis vingt ans, de la place et de l’action des princesses et des reines, en marge ou au cœur de la souveraineté.
Grâce à ce livre, on comprendra aussi et surtout combien la conquête du pouvoir, au féminin, s'inscrit dans une histoire longue, dictée avant tout par les préjugés des mâles... « Une cuisinière peut-elle régner ? » : c’est par cette interrogation de Lénine, qu’E. Anissimov, l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire du XVIIIe siècle, commence son récit du règne de Catherine Iere (1725-1727)...
Joël Cornette